Swissinfo, 12 mai 2008
Depuis la crise de la vache folle, ce que l'homme ne mange pas dans les animaux qu'il abat est brûlé. À grands frais. En Europe comme en Suisse, on prépare le retour dans les mangeoires de ces déchets transformés en farines. Avec un maximum de sécurité cette fois.
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L'enjeu est à la fois économique et écologique. Lorsqu'il abat un bœuf ou un mouton, l'homme n'en mange en moyenne qu'un peu plus de la moitié. Et même pour le porc ou la poule, cette proportion ne dépasse pas 60 à 70%.
Résultat: au cours de sa vie, le Suisse qui mange de la viande laisse derrière lui plus de deux tonnes d'abats, de graisse, d'os, de cuir, de poils et de plumes.
Avant les interdictions, la plus grande partie de ces déchets étaient hachés, cuits, séchés et moulus en farine. Aujourd'hui, elle l'est encore, sauf que les farines finissent... dans les fours des cimenteries.
Car les déchets animaux contiennent beaucoup trop d'eau pour être brûlés tels quels. On doit donc passer par cette étape de transformation en farines, avec au final un bilan énergétique plutôt médiocre.
Et il y a plus: depuis l'interdiction des farines, on a remplacé les protéines animales par des protéines végétales, notamment de soja. Or, cette plante consomme beaucoup d'eau, d'engrais et de pesticides et l'extension de sa culture est responsable de vastes déforestations.
Sans compter que le soja industriel est souvent transgénique. Et que depuis quelques temps, son prix s'envole, comme celui des autres céréales.
[…] «D'un côté, on importe en grandes quantités et à grand prix des protéines végétales qui ne sont pas forcément écologiques et de l'autre, on brûle une grande partie d'une matière première qu'on pourrait réutiliser, par exemple pour nourrir les cochons» [Cathy Maret , porte-parole de l'Office vétérinaire fédéral (OVF)].
En France, les éleveurs de porcs ont obtenu de leur ministre qu'il transmette la demande à la Commission européenne. Bruxelles, qui considérait elle aussi l'interdiction des farines comme un moratoire, a débloqué 1,7 million d'euros pour faire examiner sa levée par l'Autorité de sécurité des aliments.
Rebaptisées PAT, pour «protéines animales transformées», ces nouvelles farines devront répondre à des normes très strictes. En Suisse, l'OVF a émis cinq conditions, dont Cathy Maret admet qu'elles vont «poser des problèmes aux producteurs».
Deux de ces conditions sont strictement sanitaires: il s'agit de ne fabriquer ces nouvelles farines qu'avec des morceaux qui ne présentent aucune risque et d'éviter toute contamination par une séparation stricte des filières.
«Aujourd'hui, on a des centaines de moulins qui font alternativement de l'aliment pour les bovins, puis pour les poules, et pour les cochons... À l'avenir, ce sera exclu. Il faudra un abattoir avec une filière pour le cochon, une cuisson des déchets qui ne prenne que du cochon et un moulin qui ne fasse que de la farine de cochon» [Cathy Maret].
On en est très loin. L'OVF estime qu'il faudra «des années et la volonté de toute la branche» pour y arriver.
Deux autres conditions que la Suisse pose au retour des farines ont, en plus de leur aspect sanitaires, un côté... philosophique, ou à tout le moins morale.
«Avec la vache folle, ce qui a énormément choqué, c'est que l'on faisait manger aux vaches, qui sont végétariennes, des protéines animales, et même de leur espèce. Donc en fait, les vaches mangeaient leurs congénères» [Cathy Maret].
Pour mieux respecter l'ordre naturel et pour éviter ce «cannibalisme» animal, il est donc prévu de maintenir l'interdiction des farines pour les espèces herbivores et de ne jamais donner à une bête des déchets de sa propre espèce.
En clair: les nouvelles farines ne seraient que pour les poules et les cochons. Les poules mangeraient de la farine de cochon et les cochons de la farine de poule.
Et enfin, cinquième condition fixée par l'OVF: pas question de lever l'interdiction avant que l'Union européenne ne l'ait fait.
[Aucune réaction en Suisse à ce jour.] En France par contre, les commentaires pleuvent sur les sites des journaux qui ont parlé de ce retour annoncé. Et leur ton montre que la peur et le rejet sont encore bien présents.
Du travail en perspective pour celles et ceux qui, comme Cathy Maret, vont devoir «vendre» cette décision aux consommateurs... ■ Marc-André Miserez
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