Libération, 28 mai 2008
[La communauté chrétienne tout entière attend avec inquiétude le dénouement du procès de Habiba Kouider,] cette femme de 36 ans, accusée de «pratique sans autorisation d’un culte non musulman». Le tribunal correctionnel de Tiaret (nord-ouest du pays) a reporté son verdict pour «complément d’information», mais l’accusée risque trois ans de prison ferme selon les réquisitions du procureur.
Le 29 mars, Habiba Kouider, convertie au christianisme il y a quatre ans, est arrêtée par des gendarmes dans le bus qui la ramène d’Oran à son domicile de Tiaret. Ils découvrent en sa possession une douzaine d’exemplaires de la Bible. Elle est immédiatement embarquée, présentée à la police et placée en garde à vue. Le lendemain, elle est interrogée par le procureur de la République de Tiaret, saisi du dossier.
«Vous prêchez?» Un procureur qui apparemment accepte mal la religion choisie par cette femme. «C’est soit le tribunal, soit la mosquée», l’aurait-il menacée. En clair, si la jeune femme accepte de redevenir musulmane, son dossier sera classé. Habiba Kouider subit la même intolérance alors qu’elle cherche un défenseur. Aucun avocat du barreau de Tiaret n’accepte de s’occuper de son dossier. C’est finalement Me Khelloudja Khalfoun, une avocate de Tizi-Ouzou, habituée des procès sensibles - elle a défendu notamment des émeutiers du «printemps noir» de Kabylie contre les forces de sécurité -, qui la défendra.
Le procès, qui a débuté le 20 mai, s’est déroulé dans une ambiance «d’inquisition», comme le dénonceront immédiatement des associations algériennes de défense des droits de l’homme. «À l’église, on t’a fait passer l’examen d’admission céleste? On t’a fait boire l’eau qui te mènera droit au paradis?» demande le juge pour savoir si la jeune femme a été baptisée.
Le procureur veut par ailleurs démontrer qu’elle est coupable de prosélytisme, ce qui est interdit par une loi votée le 28 février 2006. Car si la liberté de conscience est inscrite dans la Constitution, cette loi stipule que quiconque «incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tendant à convertir un musulman à une autre religion […], fabrique, entrepose ou distribue des documents […] qui visent à ébranler la foi d’un musulman» est passible d’une peine allant de deux à cinq ans de prison et d’une amende de 500 000 à 1 million de dinars (entre 5000 et 10 000 euros).
Alors, le procureur interroge: «Que faisiez-vous avec une douzaine d’exemplaires du même livre? Vous les distribuez à votre entourage, n’est-ce pas? Vous prêchez la parole chrétienne?» Pour l’avocate de Habiba Kouider, Me Khelloudja Khalfoun, l’accusation de prosélytisme ne tient pas. «On ne juge pas sur les intentions mais sur les actes, a-t-elle plaidé devant la cour. Lorsque ma cliente a été arrêtée, elle n’était pas en train de prêcher. Elle ne distribuait pas de bibles. Elle était assise seule dans un bus qui la ramenait chez elle.» L’avocate dénonce une «hérésie juridique» et une plainte «imaginaire». «Aucun texte de loi ne conditionne la pratique d’un culte non-musulman à une autorisation. Au contraire c’est un acte licite, protégé par la Constitution», lance-t-elle.
Ce procès montre une nouvelle fois les dérives découlant de l’application de la loi de 2006. Ces derniers mois, une dizaine de procès ont eu lieu contre des chrétiens. À chaque fois, les accusés ont fait les frais d’une interprétation de plus en plus stricte de la loi et les condamnations se multiplient. Ainsi, le père Pierre Wallez, un prêtre catholique a été condamné, fin avril, à deux mois de prison avec sursis pour avoir effectué une prière avec des réfugiés camerounais.
«Sécurité nationale». Plusieurs religieux chrétiens se sont vus refuser leur visa d’entrée dans le pays. L’ancien président de l’Église protestante algérienne, Hugh Johnson, a été expulsé après le non-renouvellement de son titre de séjour. Et vingt-cinq lieux de culte en attente d’autorisation ont été fermés, notamment en Kabylie. Hier, le tribunal de Tiaret jugeait également six autres personnes pour prosélytisme. Le procureur a requis deux ans de prison ferme à leur encontre pour «exercice illégal d’un culte non-musulman». Le verdict doit être prononcé le 3 juin. Les représentants des Églises chrétiennes dénoncent une «persécution» et des intellectuels ont lancé un appel au respect des libertés dans la presse et sur Internet.
Pour le ministre des Affaires religieuses, Bouabdellah Ghlamallah, «la communauté chrétienne jouit de tous ses droits». Les décisions de justice prises ont pour but de lutter contre une campagne d’évangélisation qui représente «une menace pour la sécurité nationale». Selon les statistiques officielles, il y aurait 11 500 chrétiens en Algérie, pays qui compte 33 millions d’habitants. ■ Ryma Achoura
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