Migros Magazine, 9 juin 2008
Adoptée par le Conseil fédéral, la nouvelle ordonnance sur les animaux, avec son avalanche de prescriptions pointilleuses, a provoqué incrédulité et ricanements. L’ Office vétérinaire fédéral rétorque que connaître les besoins fondamentaux de son animal est un minimum.
[La nouvelle ordonnance sur la protection des animaux adoptée par le Conseil fédéral entrera en vigueur le 1er septembre 2008, notamment ses dispositions gratinées sur la manière adéquate d’abréger les souffrances des poissons d’aquarium malades ou accidentés.] Plutôt que d’endormir les poissons en les congelant ou les jeter dans les toilettes, l’ordonnance impose la méthode de l’étourdissement qui connaît plusieurs variantes: le «liquide narcotique» (en vente dans les magasins spécialisés), le «coup puissant sur la tête», la «rupture de la nuque», «l’électricité» ou encore la «destruction mécanique du cerveau». Pas de quoi impressionner [le président d'un club d’aquariophilie], pour qui ces dispositions tapent, si l’on peut dire, à côté du problème: «Moi, je ne tue pas les poissons. Je laisse faire la nature. Il aurait mieux valu s’intéresser au système de vente, avec des magasins qui vous proposent des aquariums magnifiques, un produit miracle pour l’eau, mais vous fourguent des espèces qui ne peuvent cohabiter. Sans parler des filières d’importation: pourquoi faire venir des poissons du bout du monde? L’idéal serait de n’acquérir que des poissons d’élevage, même s’ils coûtent un peu plus cher.»
Malades de solitude
Autre disposition qui a fait couiner et piailler dans les chaumières: l’interdiction de n’acquérir qu’un seul animal d’une espèce ne supportant pas la solitude, comme les cochons d’Inde ou les perruches. Les propriétaires de chiens ont aussi montré les dents, contraints bientôt de suivre une formation théorique et pratique.
Le monde paysan lui aussi se montre dubitatif, face à l’obligation d’une formation particulière à suivre à partir de «trois porcs, dix moutons, cinq chevaux, 150 poules pondeuses, 200 poulettes ou 500 lapereaux» ainsi que toute une série de nouvelles mesures contraignantes concernant le bétail de rente. [Le directeur de l’ Union suisse des paysans] s’est ainsi déclaré «étonné par ce tour de vis, notamment au niveau du bétail bovin pour lequel de nouvelles surfaces sont exigées». Il est vrai que la nouvelle ordonnance prévoit même des dispositions pour les buffles et les yaks, qui «doivent avoir tous les jours à disposition un dispositif pour se gratter».
Même les défenseurs des animaux sont restés sur la réserve, comme [le président d'une SPA cantonale]: «Sur le papier c’est très bien, mais ces dispositions vont trop dans le détail. Il faudrait une armée de fonctionnaires pour faire appliquer tout ça.» Inquiétude similaire exprimée par [un] vétérinaire cantonal [...]: «Par rapport à tout ce qui nous est demandé nous n’aurons pas assez de personnel.»
Des conseils
Si certains responsables d’animaleries ont déjà qualifié dans la presse l’ordonnance de «ridicule», d’autres professionnels se montrent mesurés, comme [la] fondatrice d’une structure spécialisée dans les accessoires et la nourriture pour animaux de compagnie: «Cela fait longtemps que je déconseille de n’acquérir qu’un seul cochon d’Inde. Mais il n’est pas toujours évident de convaincre les clients. Pas de problème si les adultes veulent un cochon d’Inde pour eux, parce qu’ils aiment ça, et si on leur explique qu’un animal s’ennuie tout seul. En revanche si c’est pour faire un cadeau à un enfant, ils ne démordent pas du minimum: un seul animal et une petite cage. Alors que je déconseille les cages de moins de 1 m 20. Il faut que l’animal puisse sauter, bouger.» Face à l’obligation de cours théoriques et pratiques pour les propriétaires de chiens, [elle] est partagée: «Le cours théorique de cinq heures, je trouve ça normal. Certaines personnes veulent un chien juste pour avoir un chien, sans avoir aucune idée de ce que cela représente. Et s’occuper d’un chiot n’a rien d’évident. Si on rate la première année, on le paiera ensuite pendant quinze ans.» Les cours pratiques en compagnie de l’animal en revanche lui semblent moins appropriés: «Pour une grand-mère avec un yorkshire, le cours théorique suffit. Pourquoi l’obliger à se déplacer souvent loin, et à payer pour une formation pratique? Certes n’importe quel chien peut mordre, mais certaines races sont quand même plus dangereuses que d’autres. Pourquoi ne pas imaginer des cours pratiques uniquement pour les chiens de plus de 10 kilos?»
Flots de réactions
Les particuliers ont aussi manifesté leur mauvaise humeur en nombre dans la rubrique courrier des lecteurs des quotidiens. Comme Florence [...], qui se dit «surprise» et «hallucinée» devant cette ardeur à défendre les animaux: «Mettons autant d’énergie à nous battre pour réduire les injustices et les souffrances de nos contemporains. On commence même à donner une dignité intrinsèque et morale aux plantes. C’est dire si l’être humain s’ennuie et mélange les priorités.»
Face à ces «innombrables controverses polémiques», le directeur de l’Office vétérinaire fédéral [...] répond en rappelant que la nouvelle loi a pour but principal «de responsabiliser les propriétaires, pas de lancer des contrôleurs aux trousses des particuliers. Mais la moindre des choses qu’on est en droit d’attendre d’un propriétaire, c’est qu’il connaisse les besoins fondamentaux de son animal.» Pourquoi [...] ironiser sur «ce pauvre cochon d’Inde» alors que la mesure proposée serait considérée comme tout à fait normale pour le cheval? Preuve [...] que «nous établissons inconsciemment une hiérarchie entre les animaux» et surtout que «notre société de plus en plus urbaine vit toujours plus loin de l’animal. Qui d’entre nous savait que le cochon d’Inde tout seul dans sa cage dépérit alors que son cousin le hamster s’accommode très bien de la solitude dans son enclos?»
Pour achever de convaincre des propriétaires goguenards – dans le meilleur des cas – l’Office fédéral a lancé une campagne intitulée «Mon animal, j’en prends soin», qui appelle à la rescousse toute une série de spécialistes. Par exemple, l’ éthologue de réputation mondiale Dennis Turner pour les chats – savez-vous qu’il vaut mieux utiliser toujours la même sorte de litière, chaque marque ayant «sa propre odeur, même celles qui ne sont pas parfumées. Le chat peut être très désorienté par les changements d’odeurs.» Ou le président de la [Société des vétérinaires suisses] qui, pour les chiens, invoque le Petit Prince de Saint-Éxupéry: «On est responsable de ce que l’on a apprivoisé.» Une responsabilité qui est à la fois une question financière, puis d’infrastructures et surtout de temps: «S’occuper correctement d’un chien va nécessiter une ou deux heures par jour, plus pour les chiens qui ont un grand besoin de mouvement – les jeunes chiens – et un peu moins pour les chiens plus âgés qui ont moins envie de promenade.»
Quant à Jean-Michel Hatt, professeur de médecine vétérinaire à Zurich, il explique que les animaux vivant en groupe à l’état sauvage, développent, réduits à la solitude en captivité, des troubles graves: «Les perruches se piquent les plumes jusqu’à présenter des trous dans leur plumage.» Les cochons d’Inde isolés deviendront «apathiques» et «certains se mordent le pelage». Les propriétaires n’auront, eux, plus qu’à se mordre les doigts. ■
Laurent Nicolet
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Sa vie est un enfer: le cochon d’Inde
La sociabilité du cochon d’Inde, son inaptitude à la solitude, ont
excité la verve des éditorialistes mais ne semblent avoir convaincu ni
attendri personne. Et pourtant le brave animal, nous dit l’Office
vétérinaire fédéral, est habitué, en liberté, à vivre dans des groupes
de trois à huit congénères. Il ne craint guère qu’une chose, mais très
fort: les attaques aériennes.
Ses principaux prédateurs sont en effet les oiseaux de proie: «Le fait
de s’approcher très rapidement de lui par en haut pour le saisir le
remplit d’effroi. Il devient alors parfaitement immobile, ce que nous
prenons pour une marque de confiance, alors que l’animal est tout
simplement terrorisé.»
S’il faut éviter le syndrome du cochon solitaire, combien en faut-il
alors? Deux? Un couple? L’affaire n’est pas si simple, puisque «le
groupe idéal se compose de deux ou trois femelles et d’un mâle castré.
Les femelles seules ont tendance à s’agresser. Il n’est pas non plus
possible de laisser une femelle seule avec deux mâles, car ils
finiraient par se disputer ses
faveurs.»
À noter enfin que les premiers humains à avoir élu les cochons d’Inde
comme animaux domestiques sont les Indiens des Andes, depuis au moins
cinq cents ans. Pour les manger. ■
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