La fonction publique, mai 2008
Dans son ouvrage L'utilité de la force. L'art de la guerre aujourd'hui (Economica, 2007), le général d'armée britannique Sir
Rupert Smith, un des chefs militaires occidentaux les plus expérimentés, analyse les conditions d'emploi de la force au début du XXIe siècle
Sa réflexion, qui se base à la fois sur une étude détaillée de l'histoire et sur son expérience personnelle, met en évidence un changement de paradigme de l'art de la guerre à partir de la fin de la Deuxième Guerre mondiale. La période allant de la Révolution française jusqu'en 1945 serait l'ère de la guerre industrielle, laquelle suivrait les principes de guerre de Napoléon et de Clausewitz, mettant en action, de chaque côté, des armées nationales, nombreuses et puissamment armées, recherchant la destruction de l'adversaire afin d'imposer ses buts politiques au gouvernement ennemi.
Ce modèle de guerre a presque disparu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et a été remplacé par un nouveau basé sur des principes et des buts totalement différents. Comme exemples de ce nouveau genre de guerre, il y a notamment les différentes guerres de décolonisation, la plupart des guerres israélo-arabes, les nombreuses opérations de l'ONU. Il n'existe plus que de rares exemples de la guerre classique, comme la guerre des Falklands qui a opposé le Royaume-Uni à l'Argentine en 1982.
Le nouveau paradigme de la guerre est désigné par l'expression «guerre au sein des populations». L'un des adversaires étant incapable de rivaliser avec la puissance militaire de son ennemi et de mener une guerre classique contre lui, il décide d'employer une autre forme de lutte dont les principes d'affrontement sont ceux des luttes révolutionnaires et de la guérilla. Cette nouvelle forme de conflit se caractérise alors, du côté de l'adversaire le plus faible, notamment par l'absence de gouvernement étatique et d'armée classique, la dissimulation des combattants parmi les civils et l'emploi de la population comme moyen de protection et source de subsistance, l'action ponctuelle et indirecte, l'influence sur l'opinion publique ennemie et du monde entier.
Les armées traditionelles ne sont pas adaptées pour faire face à cette nouvelle forme de guerre. De plus, des changements importants se sont produits au niveau politique. Les notions de moralité et de légalité se sont installées au cœur des réflexions concernant l'emploi de la force militaire. Par ailleurs, les buts politiques sont souvent remplacés par des buts moraux. Dans ce cadre tout à fait nouveau et inhabituel pour les armées classiques, l'emploi de la force devient problématique. La moralisation de cet emploi ne lui confère aucune garantie quant à son utilité. La puissance de cette force est également souvent contreproductive, car disproportionnée par rapport à l'adversaire, surtout avec la diffusion planétaire de l'information qui devient une arme particulièrement efficace pour le parti faible qui sait généralement très bien l'exploiter.
Les armées classiques n'étant conçues, tant au point de vue intellectuel et psychologique, qu'au point de vue organisationnel et doctrinal, que pour faire face à un autre adversaire classique, elles doivent être totalement réorganisées et rééquipées en fonction du nouveau paradigme de la «guerre au sein de populations». Cette affirmation soulève de nombreuses objections et il serait sans aucun doute hautement préjudiciable de suivre totalement cette voie. Tout d'abord, le nouveau paradigme est déjà ancien et il a souvent coexisté avec la guerre industrielle. Si cette dernière n'est plus aussi fréquente actuellement, il n'est pas sûr qu'elle ait totalement disparu et elle fera peut-être un important retour dans les décennies futures. Ensuite, la nouvelle forme de guerre doit être vue comme la conséquence de l'incapacité d'un des adversaires à lutter de manière classique en raison de la disproportion des moyens. En supprimant les armées classiques, cette disproportion entre les ennemis risque de disparaître, entraînant un retour à un affrontement traditionnel, mais avec des moyens plus équilibrés. Les théories de Mao sont à cet égard très instructives. Si le premier stade de lutte révolutionnaire s'effectue au moyen de petits groupes de combattants cachés au milieu de la population «comme des poissons dans l'eau», le dernier stade consiste à engager des troupres organisées de manière tout à fait classique. Il serait donc absolument faux de renoncer totalement aux armées traditionnelles. ■ D'après Dimitry Queloz
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