Le Temps, 16 juillet 2008
La violence exercée par certains jeunes de banlieue n’est pas un jeu
[…] Les comportements violents sont pluriels, ils ont notamment une dimension symbolique. Ils sont souvent liés à des «embrouilles de cité», c’est-à-dire des guerres de clochers qui perpétuent l’histoire d’un quartier. Pour ceux qui se battent le mieux, c’est une vraie source de réputation, de prestige, de pouvoir. Des centaines de personnes sont au courant, à travers l’école, le club de football, Internet, les portables, etc. La force des bras, des coups, est un capital social de compensation, qui permet d’obtenir des biens matériels, de la reconnaissance. D’autant que ceux qui participent à ces bandes sont souvent en décrochage scolaire et ont des perspectives d’avenir très limitées.
Que désigne au juste le terme de «bandes de jeunes»?
La bande repose sur quatre grands principes: le groupe, l’informalité – elle n’a de supports institutionnels –, le caractère juvénile et le rapport déviant à la norme. La délinquance n’est pas une fin en soi – il ne s’agit pas de criminalité organisée – mais un label, qui fait la cohésion du groupe, qui permet à chacun de se valoriser, de se hiérarchiser.
Ces bandes sont-elles plus violentes qu’avant, que les «blousons noirs» des années 1960, par exemple?
Nous n’avons pas de moyens précis de comparaison. La force physique est un capital de compensation très ancien dans les milieux populaires. Avant, cette virilité était plutôt légitime. Elle prenait son sens dans la culture de l’atelier, de l’usine. Mais aujourd’hui, elle est combattue par les autorités. La société a changé: l’usage de la force physique non étatique a été complètement délégitimé, la tolérance de la société envers les bagarres de quartier a baissé, la société s’est judiciarisée. D’autre part, dans les années 1950-1960, la France connaissait le plein-emploi. Les «blousons noirs» avaient 15 à 20 ans; ensuite, ils rentraient dans l’ordre. La plupart travaillaient, ils pouvaient revenir à l’usine s’ils avaient besoin d’argent. Le service militaire obligatoire faisait une coupure, après quoi ils entraient à l’usine, se mettaient en couple, allaient vivre en HLM. Aujourd’hui, les bandes ont entre 13 et 25 ans: l’amplitude [d’âge] a plus que doublé. En plus, il y a eu l’arrivée des drogues dans les quartiers populaires. Les blousons noirs n’avaient pas de shit, pas de came à vendre. Ils n’étaient pas non plus décrits selon leur couleur de peau.
Propos de Marwan Mohammed, spécialiste de la banlieue [cf. Les bandes de jeunes, des blousons noirs à nos jours, sous la direction de Laurent Mucchielli et Marwan Mohammed, Paris, Éd. La découverte, 2007], recueillis par Sylvain Besson
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