Le Courrier, 19 juillet 2008
[Juin 2008:] la justice genevoise [condamne] le cheikh Falah bin Zayed bin Sultan al Nahyan, le demi-frère du président émirati et membre de la famille royale, pour avoir frappé avec un ceinturon un New-Yorkais qui refusait ses avances. [Juillet 2008:] le sulfureux fils cadet du dictateur libyen Muammar Kadhafi, Hannibal, [passe] deux nuits en prison après que la police ait libéré deux domestiques traités comme des esclaves, à en croire l'accusation. Intouchables chez elles, ces personnalités de premier rang ont été traitées comme des gens ordinaires à Genève. Est-ce la fin de l'impunité des familles royales et de dictateurs? De celle des tortionnaires de passage ou des ambassadeurs et autres diplomates exploitant leur personnel? «C'est la première fois qu'Hannibal Kadhafi dort en prison. Bravo à la justice genevoise qui montre son indépendance. [Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen]»
L'impact de telles affaires est réjouissant, même s'il est minimisé par une presse arabe très prudente [H.A.]. Celle-ci, aussi dans les pays les plus libres, n'a dit mot de la mésaventure homosexuelle et judiciaire du cheikh. Quant aux frasques d'Hannibal Kadhafi, «un journaliste d'Al-Jazira m'a assuré qu'elles relevaient de sa sphère privée» [H.A.].
Le sentiment d'impunité de certains hôtes étrangers risque d'être entamé, remarque pour sa part Philippe Grant, président de l'ONG Trial, qui a plusieurs fois tenté de faire inculper des dirigeants tortionnaires. Mais il pointe une différence primordiale entre le cas d'Hannibal Kadhafi et ceux dont son ONG s'occupe. «Le Libyen est soupçonné de faits qui se sont déroulés à Genève. Si la justice avait aussi le courage, ne serait-ce que d'entendre certains étrangers pour les actes inadmissibles commis chez eux, le signal donné serait alors bien plus important. Mais ce n'est pas le cas.»
L'autre explication pour comprendre pourquoi la justice a pu agir est que, tout fils d'un chef d'État qu'il soit, Hannibal Kadhafi ne bénéficie pas de l' immunité diplomatique [1]. Or c'est en général ce qui retient les juges […]: «Lors du Sommet mondial sur la société de l'information [en 2003], Trial avait porté plainte contre Abib Ammar, un ancien général tunisien tortionnaire. Il est parti sans être inquiété même s'il n'est plus jamais revenu en Suisse. [P.G.]»
«Nous avons toujours pu défendre certains dossiers car l'immunité diplomatique est relative» [Lara Cataldi, secrétaire syndicale au SIT]. Chaque semaine, ce syndicat reçoit en moyenne un employé d'ambassades, de missions ou de diplomates dans le cadre de conflits de travail. Coïncidence, [Mme Cataldi est appelée] alors qu'elle termine un entretien «avec un monsieur viré brutalement par une ambassade d'un pays du tiers monde. Nous avons obtenu le respect du délai de congé et six mois de salaire. Mais pas le paiement des heures supplémentaires.»
Salaires de misère ou non payés, horaires kafkaïens et mauvais traitements sont les cas les plus fréquents. Des séquestrations ou des violences physiques, à l'image de ce qu'auraient subi les domestiques d'Hannibal Kadhafi, sont plus rares. Toutefois, la peur de perdre leur emploi et, par conséquent, leur droit à rester en Suisse fait que beaucoup d'employés ne dénoncent pas leur employeur.
Le personnel, engagé comme employé local, peut se prévaloir du droit suisse [L.C.]. Mais en cas de condamnation, si l'ambassade ne paie pas, impossible d'enclencher une procédure en poursuites. «Tout dépend des pressions que l'on peut exercer, par exemple en menaçant de médiatiser l'affaire.»
Souvent, les cas se règlent à l'amiable. Et après avoir fait appel à l'un des trois médiateurs du Bureau cantonal de l'amiable compositeur. […] un tiers des cas soumis au bureau trouvent une solution sous ses auspices. L'organe traite quatre-vingts cas chaque année et a pu reverser, depuis sa naissance en 1995, entre 2 et 2,5 millions de francs d'indemnités.
L'inculpation des époux Kadhafi, présumés innocents, montre aux employeurs indélicats quels risques il y a à mal se comporter […]. ■ Rachad Armanios
Le Temps, 19 juillet 2008
[Le visage et le corps des deux employés] sont couverts de cicatrices.
«Lui, il a reçu des coups de couteaux, regardez!»
«Et moi, j'ai été frappée avec un cintre en fer qui fait très très mal. Aline voulait me briser les yeux. On peut taper, mais pas comme ça.»
■ Cynthia Gani (texte) et Eddy Mottaz (photos)
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