Notre souffrance n'a plus de rites ni de modèles. Lorsque je souffre, je ne m'identifie pas à une instance supérieure susceptible d'alléger mon état, de l'embellir, de l'animer d'un élan de ferveur et d'exaltation. Je souffre toute seule, n'importe comment, en dépit du bon sens et au hasard des circonstances. Je me débrouille comme je peux. J'ai beau chercher, je ne découvre pas l'ombre d'une finalité. Ce poids sous lequel je croule est parfaitement inutile. Il m'altère, m'annihile, c'est tout. Et j'ai intérêt à ne pas trop le montrer au-dehors. À force d'être mal vu, souffrir, physiquement ou moralement, est devenu autant que possible invisible. Une invisibilité qui ne se conjugue pas, comme la sagesse stoïcienne, avec une suprématie de la raison sur les désordres de la passion, mais se confond avec un brouillage généralisé.
Chantal Thomas, Souffrir, Payot & Rivages, 2004
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