Le Temps, 15 août 2008
Recourir à des chevaux, pour développer ses qualités de leadership, instaurer un partenariat basé sur le respect et la confiance, partager une vision, motiver, être à l’écoute…
[Face aux juments - Minimy, la brune, une jument de race Selle Français, Paloma, couleur caramel, d'origine espagnole, et Salomé, élégante Portugaise grise -, plus] question de courtoisie ou d’autorité carrée, de paraître ou de grands discours. Chaque geste, chaque mouvement, chaque son a son importance. Rien n’échappe au cheval; mais lui peut rapidement s’échapper dans cette construction de relation inédite.
Commençons par l’exercice numéro 1: le cheval est en liberté à l’autre bout du manège. Je m’approche et je tente de nouer une relation avec lui. Au bon moment. C’est-à-dire quand je sens qu’une fenêtre d’écoute s’offre. Si le courant passe, si la jument me fait confiance, si je suscite en elle suffisamment de curiosité, alors il sera aisé de me déplacer à ses côtés, devant elle, à travers tout l’espace du manège, sans aucune corde à son cou. Nul besoin de mots pour se comprendre. L’œil du cheval, la position de ses oreilles, la manière de mobiliser sa masse musculaire sont les précieux indicateurs d’un courant qui passe. Ou ne passe pas.
Exercice numéro 2. Face au cheval, longe en main, je dois faire reculer l’animal – inutile de pousser, je ne fais pas le poids face à la masse du cheval – jusqu’à l’extrémité de la corde, puis le faire revenir vers moi, d’abord à mi-chemin, puis à portée de caresse. Certes, il y a quelques gestes techniques qu’il faut connaître, mais quelle démonstration «live» d’une communication maîtrisée: graduée en cas d’absence de réaction, la nécessité de s’en tenir à un but précis et non de changer en cours de route, l’importance du feedback lorsque le résultat est atteint, de la gestuelle, de la manière de se tenir face au cheval.
Inutile d’engager un discours, de lever la voix, de sautiller d’impatience, de mouliner avec les bras, de menacer… Un ordre à la fois. Clair, précis,engageant. Absurde de répéter «recule, recule, recule»… «Soyez clair dans le message. Si vous n’aimez pas votre cheval, vous n’obtiendrez rien de lui. Mais aimer ne signifie pas caresser… [Laurent Schütz, psychologue du travail]» Respect et autorité vont de pair.
Exercice numéro 3: «partager une vision et avancer dans un projet». Avec un cheval? Oui. En me promenant dans le manège avec la jument derrière moi au bout de la longe, l’animal suit. Plutôt contraint et forcé, tirant parfois en arrière ou de côté. La différence, c’est de refaire le même exercice en fixant, cette fois, un but précis dans le manège, par exemple la porte là-bas au fond, et en avançant en gardant le même rythme. Cette fois, la jument suit plus haute qu’avant, un signe qui ne trompe pas. De là à parler de conduite managériale, pourquoi pas? Je ne suis pas au bout de mes découvertes avec la marche à côté du cheval. En avançant à hauteur de son épaule et en maintenant une communication étroite avec la jument, je suis fasciné de voir la force du binôme qui se crée. Quelle que soit l’allure – au pas, au trot – un incroyable partenariat en mouvement se crée…
Quelles premières conclusions retirer de ces exercices liminaires? Face au cheval, les expériences de ressenti prennent une force d’autant plus forte qu’elle permet de mieux comprendre, et son propre fonctionnement, et celui des autres. Sachant qu’au sein d’une entreprise, la nature et la qualité des relations influent directement sur le niveau de prestation de l’organisation et sur sa capacité à s’adapter au changement, Minimy, Paloma et Salomé permettent de révéler, dénouer, susciter, sur la sciure d’un manège, des choses différentes grâce à une démarche créative, originale, impliquante. ■ Ignace Jeannerat
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