Uniscope, 21 avril 2008
A priori, l’idée de conversion religieuse est limpide. Pourtant, à mesure que l’on sort du cadre de pensée occidental, les certitudes éclatent. Devient-on bouddhiste comme on devient musulman? Embrasse-t-on le christianisme de la même manière que l’hindouisme? D’une religion à l’autre, les modalités et la signification de la conversion changent du tout au tout. […]
Les raisons principales pour lesquelles une personne fait le choix d’une conversion religieuse
Il est difficile de dire quels sont les motifs de la conversion. Le problème, c’est que l’identité religieuse n’est pas forcément liée à des questions de croyances. Telle qu’on la conçoit de manière un peu stéréotypée, la conversion implique des convictions personnelles fortes. C’est le résultat d’une représentation un peu romantique. Or, suivant les cultures, l’adhésion individuelle ne fait pas toujours sens pour expliquer un changement identitaire. Le passage par un rite ou le changement de groupe d’appartenance, lors d’un mariage par exemple, paraissent souvent des explications plus convaincantes. À tel point qu’on peut se demander si le terme de conversion a encore un sens pour l’Inde, par exemple. […] Si on veut être plus universel et coller à la réalité de notre planète, il faut comprendre la conversion comme quelque chose qui n’est pas toujours liée à l’idée d’une foi personnelle.
Y a-t-il une définition universelle de l’idée de conversion?
[La] conversion religieuse, ce n’est finalement qu’une forme de changement identitaire parmi d’autres: passer de l’enfance à l’âge adulte, se marier, changer de sexe… Des moments où on peut parler d’un avant et d’un après. La conversion, c’est la possibilité d’une altération de soi. Dans cette rupture, il y a souvent exclusion d’un groupe et inclusion dans un autre. Ce qui peut expliquer la conversion, c’est le besoin de trouver un autre système de référence ou un autre groupe d’appartenance, qui vous offre des moyens pour résoudre vos problèmes.
La culture chrétienne est-elle à l’origine de nos idées préconçues?
[…] nous avons souvent tendance à ne nous occuper que de la question «qu’est-ce que tu crois?». C’est déjà une manière culturellement déterminée de questionner le religieux, dans la mesure où on le comprend exclusivement sur le mode de la foi et de la relation personnelle au divin. Par exemple, un chrétien évangélique racontera assez typiquement avoir rencontré Dieu à telle heure et dans tel contexte. [C’est la vision protestante anglo-saxonne.] Il est d’ailleurs intéressant de constater que les mouvements évangéliques américains, qui mettent l’accent sur la relation personnelle à Dieu, sont issus d’une société qui valorise l’individualisme.
[Le christianisme ne s’est pas toujours inscrit dans cette logique.] Quand par exemple l’Empire romain devient chrétien, on entend par là que c’est l’ensemble du peuple qui le devient. Il est absurde dans ce cas de postuler quelque chose de personnel dans cette conversion. Ici, ce serait plutôt l’idée d’appartenance à un groupe qui joue un rôle. De même pour toutes les sociétés, sur la planète ou dans l’histoire, qui se sont du jour au lendemain dites chrétiennes: il n’y avait pas des masses populaires converties dans le sens d’une démarche personnelle.
[À l’intérieur même du christianisme, l’idée de conversion a donc évolué.] Quand l’apôtre Paul parle de conversion, il signifie un retour à Dieu, mais à l’intérieur du judaïsme. En tant que disciple du Christ, il n’a pas l’impression de sortir de la religion juive, mais au contraire de l’accomplir. C’est cela même qu’il appelle «conversion». Les non juifs convertis devaient par contre connaître une rupture plus forte avec leur milieu d’origine.
[Les identités religieuses étaient encore assez souples.] Progressivement, l’idée s’est imposée qu’on ne peut pas être l’un et l’autre, à la fois païen et chrétien, ou juif et chrétien. Avec l’arrivée de l’islam, qui se démarque du judaïsme et du christianisme, cette tendance se renforce. Peu à peu les identités religieuses vont s’exclure. De même à l’intérieur du christianisme, qui entre dans une logique où les identités se construisent de manière exclusive. À partir d’un certain moment, il ne sera plus possible d’être à la fois catholique et orthodoxe. ■
Propos de Pierre-Yves Brandt, psychologue des religions à la Faculté de théologie et de sciences des religions à l’Université de Lausanne, recueillis par Lionel Pousaz
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