Le Temps, 1er septembre 2008
Un des grands phantasmes du consommateur consiste à s'imaginer qu'il est manipulé par des messages subliminaux. Des flashs si courts qu'ils ne s'impriment pas de manière consciente dans la mémoire, mais qui influenceraient notre comportement à notre insu. En fait, les scientifiques n'ont jamais pu mettre en évidence l'effet des messages subliminaux sur les choix des consommateurs. Malgré tout, ce procédé est interdit dans la publicité télévisée et au cinéma.
Une étude, [qui vient de paraître] dans la revue britannique
Neuron, relance le débat. Elle montre en effet qu'un individu peut se faire influencer de manière inconsciente dans certaines conditions, selon une recherche conjointe de l'
Institut national de la santé et la recherche médicale de Paris (Inserm) et du
University College de Londres
[1].
«Il est possible de conditionner les choix de quelqu'un en utilisant des images subliminales assorties à un système de récompense. De la même manière que l'on apprend à un rat à appuyer sur un levier pour obtenir de la nourriture. Mais cela se passe à un niveau inconscient chez l'homme. Ce qui est nouveau dans
cette étude, c'est que l'on arrive à obtenir une action volontaire du sujet. [Mathias Pessiglione de l'Inserm, un des auteurs]»
Chez l'homme, c'est l'argent qui a servi de récompense. Le procédé est un peu plus complexe que chez un rongeur car il fait intervenir le conditionnement instrumental (comme pour l'expérience du rat)
[2] et la perception subliminale. Pour tester ces influences conjointes, une vingtaine de volontaires âgés de 18 à 39 ans ont visionné des images projetées sur un écran. Une centaine en tout. Pour chacune d'elles, les sujets devaient arriver à déterminer si l'image était «bonne», et dans l'affirmative appuyer sur un bouton ce qui leur rapportait 1 euro. En cas d'erreur, les participants perdaient cette somme.
Comment faire son choix? C'est là que sont intervenus les messages subliminaux. Soit, dans ce cas, des petits dessins abstraits qui contenaient une indication permettant de savoir quelle image choisir. Ces flashs étaient envoyés de façon suffisamment rapide pour que les sujets ne les perçoivent pas consciemment.
«À la fin de l'apprentissage, 65% des participants choisissaient l'image qui leur permettait d'obtenir la récompense et 35% se trompaient, un résultat tout à fait significatif. [M.P.]»
Les participants savaient que des indices devaient les aider, mais sans plus. Les chercheurs leur ont simplement demandé de suivre leur intuition. «Certains sujets n'arrivaient absolument pas à le faire. Ils ne pouvaient s'empêcher de suivre des règles soi disant traditionnelles. Comme appuyer une fois sur deux sur le bouton. Ces gens-là n'ont pas progressé et c'est eux qui ont commis le plus d'erreurs. […]
Il s'agit de recherche fondamentale, mais nous avons montré qu'un apprentissage peut se produire à l'insu du sujet. Et peut-être que lorsque l'on parle d'intuition, cela signifie que l'on a capté dans l'environnement un indice qui nous a permis, une fois, de gagner. [M.P.]»
Les chercheurs, qui ont utilisé le procédé d'imagerie cérébrale fonctionnelle (IRM) pour établir quelle zone du cerveau était sollicitée, ont également fait une découverte importante. Ils ont identifié la structure cérébrale qui capte les messages subliminaux: le
striatum [3]. Un
ganglion sous cortical, situé donc dans les structures profondes du cerveau.
«Les personnes qui ont de l' intuition écoutent leur striatum! [ M.P.]» Par ailleurs, le striatum est également impliqué dans des affections comme le
syndrome de Gilles de la Tourette, une maladie neurologique marquée par des tics, ou la
maladie de Parkinson. Cette découverte pourrait améliorer la compréhension
de ces pathologies.
S'il est possible d'induire chez une personne un apprentissage sans qu'elle s'en doute et influencer ses décisions, peut-on alors la manipuler?
«Je ne vois pas comment utiliser ces résultats dans le domaine publicitaire. La publicité directe vantant un produit est certainement beaucoup plus efficace et simple. Et, encore une fois, dans notre recherche, il faut recourir au système de récompense. [M.P.]»
Est-ce que les jouets cachés dans les paquets de lessive ou les céréales du matin, ou encore les points bonus, ne constituent pas la récompense imaginée par les publicitaires?
«C'est une hypothèse intéressante, encore faudrait-il envoyer un message subliminal qui permette à l'acheteur de savoir, inconsciemment, quel produit acheter pour recevoir une récompense. Aujourd'hui, l'incitation se passe au niveau conscient.» ■ Marie-Christine Petit-Pierre
2. Vetopsy
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