L'Hebdo, 3 juillet 2008
Les animaux de rente sont de plus en plus considérés comme des choses, alors que les animaux domestiques sont toujours plus considérés comme des personnes
Si on regarde la manière dont on traite les animaux dans les élevages intensifs, il est évident qu'ils sont réduits à l'état d'objets, dont le propriétaire peut disposer à sa guise. Pourtant, les gens comprennent que les animaux sont sensibles, qu'ils ont un intérêt à ne pas ressentir de la douleur et qu'ils sont capables d'avoir du plaisir. Nous savons tous qu'ils ont une valeur intrinsèque qu'il faut respecter.
Il ne nous viendrait pas à l'idée d'enfermer un chat durant toute sa vie dans un espace réduit et confiné, dans le seul but d'être tué. C'est pourtant la condition qu'on réserve aux poules ou aux cochons. Pourquoi n'auraient-ils pas eux aussi droit à ce que leur valeur intrinsèque soit respectée? Un animal n'a pas d'intérêt à se faire tuer pour être mangé.
L'homme n'a pas besoin [de se nourrir de viande] pour vivre. On mange de la viande parce qu'on trouve ça bon. D'un point de vue éthique, la satisfaction de ce plaisir ne justifie pas la négation de la valeur des animaux. Ils ont un droit moral à être respectés qui prime sur notre bon plaisir.
Le droit suisse est l'un des plus attentifs au bien-être des animaux
[...] il est préférable de les faire souffrir le moins possible. C'est dans ce sens que va [la nouvelle] loi: elle veut agrandir les cages et éclairer davantage les étables. Seulement, la question fondamentale est de savoir s'il est légitime de considérer les animaux comme de simples ressources. Si on répond que non, la conséquence logique est d'abandonner leur exploitation.
[...] les réformes de régulation - qui rendent plus "humaines" les conditions de détention des animaux - sont contre-productives. Car elles donnent une image positive de l'industrie de l'alimentation d'origine animale et bonne conscience à l'opinion publique. Je soutiens uniquement les réformes qui interdisent des pans entiers de l'exploitation animale, comme l'interdiction du foie gras ou des fourrures animales.
Les actions pour le bien des animaux
[Il faut arrêter d'élever,] d'utiliser les animaux, peu importe la raison: qu'elle soit économique, dans l'industrie de la viande ou laitière; scientifique, dans les laboratoires; ou sociale, comme dans les corridas, les combats de chiens, les cirques ou les zoos. L'utilisation des animaux comme compagnons devrait aussi être abolie... de même que les chiens d'aveugle.
Ces bêtes sont sélectionnées, reproduites, dressées dans le seul but de servir l'homme. C'est comparable à l'esclavage des Noirs. Bien sûr, les chiens d'aveugle ne sont qu'un exemple. La conséquence ultime de ma réflexion est qu'il faut abolir le droit de propriété sur tous les animaux.
[Les vaches et les poules] n'existent que parce que l'homme les a sélectionnés pour en faire des fournisseurs optimaux de viande, de lait ou d'œufs. Si nous respections vraiment la valeur intrinsèque de ces animaux, il faudrait arrêter de les élever. Il ne s'agit pas de lâcher des millions de poules dans la nature dès demain. Personne ne croit à une révolution.
Il faut commencer à se battre là où le soutien de l'opinion est déjà précaire: les cirques, les corridas, le foie gras, etc. Ensuite, il est de la responsabilité individuelle de chacun de boycotter les produits d'origine animale [non] seulement en renonçant à manger de la viande, du poisson, du lait et des œufs, mais aussi en refusant de porter du cuir ou de la laine. En Europe, c'est très facile à faire [...]. Ce véganisme n'est pas juste une question de style de vie, c'est un acte politique pour la libération animale. En plus, les quantités phénoménales de terres servant aujourd'hui à la production de fourrage pour des animaux de rente seraient à nouveau disponibles. S'ajoute à cela que la production de viande dégage énormément de CO2. Avec la crise alimentaire mondiale et le réchauffement climatique, ces questions finiront de toute façon par se poser. C'est pour cela que la libération des animaux sera le mouvement social de ce siècle. [...]
Le Front de libération animale (ALF)
Les images avec un activiste cagoulé tenant deux lapins de laboratoire dans ses bras peut sembler ridicule. Mais l'histoire récente du mouvement de libération animale montre que l'action directe peut s'avérer très efficace. Seulement, une grande partie de ces actions sont illégales. Sont-elles légitimes pour le bien des animaux? S'agit-il de la bonne tactique à adopter? [...] à la deuxième de ces questions, les avis divergent: les uns disent que c'est contre-productif, les autres estiment qu'il s'agit du seul moyen de faire pression sur l'industrie animale. ■
Propos de Klaus Petrus, professeur de philosophie du fonds national pour la recherche à l'Université de Berne, recueillis par Titus Plattner
Les bêtes ne sont pas une marchandise
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