TéléObs, 16 octobre 2008
[...] la société ouverte contemporaine - médiatique et versatile - est régie par des effets de croyance et de reniements bien particuliers.
Les premières caractéristiques de ces croyances sont faciles à identifier: la fluidité, la légèreté éphémère, une extraordinaire fugacité. L'univers de la communication fonctionne dans la «culture du flux», par opposition à la «culture du stock», qui est celle de l'école, du livre et de la tradition. Les croyances qui habitent nos sociétés sont devenues changeantes, amnésiques, insaisissables. Elles sont faites de sincérités successives, d'opinions effaçables, de points de vue approximatifs et révisables. C'est ce qui fait de cet empire virtuel un univers vibrionnant, pailleté, phosphorescent et pour ainsi dire radioactif. Un physicien, Étienne Klein [1], parle d'«engouement», pour désigner cette croyance dégradée. La définition correspond assez bien à ces convictions à la fois sincères et sans cohérence ni durée, qui, additionnées, finissent par constituer la rumeur démocratique, impérieuse voire dogmatique mais dont la consistance est médiocre.
Ces engouements changeants allient donc la force d'expression et la fragilité des contenus, le parler gros et le penser petit. Ils sont bien plus proches, en cela, de la crédulité que de la conviction. Les croyances produites par la communication contemporaine sont par hypothèse provisoires. Ce sont des emportements de chaque jour, des subjectivités à court terme et de courte portée. L'opinion majoritaire - cette «rumeur» - évolue comme le font, en mer, ces bancs de poissons qu'un signal infime suffit à faire faire subitement changer de direction, d'un bloc.
Des croyances aussi évolutives demeurent pareillement tributaires de ces bourrasques imprévisibles qui naissent des modes, des mimétismes ou des paniques collectives, et traversent l'air du temps comme des ouragans. Bruno Latour utilise une métaphore puisée dans l'informatique pour décrire ce mélange d'informations véritables et de crédulités qui nourrit l'opinion majoritaire. Il parle de «communication double clic». Le référence à l'informatique et au fonctionnement d'une souris d'ordinateur n'est pas innocente. L'image correspond tout à fait aux formes nouvelles de subjectivité qui prévalent dans notre vie quotidienne désormais informatisée.
Voilà que nos convictions se trouvent, en somme, digitalisées. Leur nomadisme s'en trouve facilité d'autant. L'univers digital dans lequel nous sommes entrés depuis une trentaine d'années est celui des engouements successifs, et aussitôt satisfaits. Or cette impermanence du croire est nécessaire à la légèreté requise de l'individu consommateur, dont le marché pourra d'autant mieux capter - et manipuler - les préférences qu'elles seront sans vraies attaches.
L'absolue variabilité de ces «engouements» correspond bien à la mobilité consumériste - sans remords, sans fidélité ni responsabilité - sur laquelle table la «société liquide» contemporaine, pour parler comme Zygmunt Bauman. Ajoutons que la boucle est bouclée puisque cette logique instable gouverne le fonctionnement des marchés eux-mêmes. D'où les paniques financières qui en sont le sous-produit direct, logique et dévastateur. ■ Jean-Claude Guillebaud
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