Le Temps, 13 novembre 2008
[…] Les populations de l'Afrique subsaharienne croissent à très grande vitesse. Ce qui ne pourra qu'accroître, demain, leur influence.
Le mouvement s'est esquissé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, lorsque le taux de mortalité des habitants de la région s'est mis à décliner. Une tendance si forte que même l'épidémie de sida, pourtant très meurtrière dans la région, n'a pas suffi à la renverser. L'espérance de vie, si elle a chuté dans certains pays, n'a jamais été globalement aussi élevée qu'aujourd'hui. Et la mortalité infantile (des bébés de moins d'un an) a dégringolé en un demi-siècle de près de 180 à quelque 120 décès pour 1000 naissances.
Parallèlement, le taux de fertilité est demeuré exceptionnellement élevé. S'il a baissé de 25% depuis les années 1980, pour passer de 7 à 5,1 enfants par femme, il reste très supérieur à la moyenne mondiale, qui est actuellement de 2,7 et a fortiori de la moyenne européenne, qui a plongé à 1,5, bien en dessous du seuil de renouvellement des générations, estimé à 2,1.
Taux de mortalité en chute libre et taux de fécondité en légère baisse: le résultat est mathématique. Ces cinq dernières décennies, la population de l'Afrique subsaharienne a connu une très forte croissance annuelle moyenne, de l'ordre de 2,2%. Ce qui lui a permis de quadrupler pendant la période, et de septupler depuis le début du XXe siècle. Et ce qui lui vaut d'occuper une place beaucoup plus importante au sein de l'humanité, étant donné le taux de croissance nettement plus faible des autres continents.
La comparaison avec l'Europe, l'ancienne puissance colonisatrice, est la plus éloquente. Alors que la région était peuplée de 100 millions d'âmes en 1900 contre 422 millions au Vieux Continent (Russie comprise), elle a aujourd'hui «passé devant» pour abriter 769 millions de personnes contre 731 millions à sa rivale. Et pour représenter 11% de la population mondiale contre 5,9% il y a un siècle.
Une telle accélération n'est pas unique. Elle est même très classique. L'Afrique subsaharienne se trouve au milieu de sa «transition démographique», ce moment de déséquilibre au cours duquel une population ne connaît plus le régime de haute mortalité et de haute fécondité des sociétés traditionnelles mais pas encore celui de basse mortalité et de basse fécondité des sociétés modernes. Or, au cours de cette phase-là, c'est toujours le taux de mortalité qui chute le premier, d'où une hausse brutale de la population.
Seule différence: les autres régions du monde ont connu leur transition démographique avant l'Afrique. L'Europe l'a vécue grosso modo entre 1750 et 1950, période durant laquelle sa population a quadruplé, pour passer de 144 millions à 543 millions d'habitants. Quant à l'Asie et à l'Amérique latine, elles en sont à sa phase terminale. Après avoir subi des baisses sensibles de leur taux de mortalité, elles voient leur taux de fécondité atteindre peu à peu des planchers.
L'explosion démographique que connaît de nos jours l'Afrique subsaharienne a un effet évident: l'augmentation rapide du nombre de jeunes adultes. Or, cette population se caractérise par le besoin de se faire une place dans la société, donc de trouver un moyen de subsistance, remarque le démographe suédois Bo Malmberg, dans un récent et passionnant article de la revue Current African Issues. Ce qui signifie une demande croissante en terre agricole et, à défaut, en départ pour d'autres cieux. Ces vingt prochaines années, les candidats noirs à l'émigration seront plus nombreux que jamais, prévient le chercheur. Et là aussi, rien de nouveau. Le gonflement du groupe des 20-25 ans en Europe au XIXe siècle a correspondu aux grandes migrations du Vieux Continent vers l'Amérique.
Mais ce ne l'est là qu'une conséquence de la démographie galopante. Bo Malmberg en annonce deux autres de première importance aussi: la modernisation radicale de l'agriculture et le développement du système urbain en Afrique subsaharienne. Certes, ces évolutions ne se dérouleront pas sans heurts parfois très graves, prévient-il, mais elles sont indispensables, à terme, à l'industrialisation, donc à la prospérité de la région. Et rien ne les empêchera. D'ailleurs, elles sont l'une et l'autre déjà bien avancées: en cinquante ans, le secteur agricole est devenu quatre fois plus productif et les citadins quatorze fois plus nombreux.
Quand l'Afrique subsaharienne arrivera-t-elle au terme de sa transition démographique? Certainement pas avant le milieu du siècle, répondent les démographes. Les experts de l'ONU estiment que la région mettra encore quelque 35 ans pour passer en dessous du taux de fertilité de trois enfants par femme. Elle devrait alors compter 1,7 milliard d'habitants, soit 19% de l'humanité. Énorme? C'était sa part de la population mondiale en 1500, avant la traite des Noirs et la colonisation. Simple retour des choses. ■ Étienne Dubuis
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