Bilan, 8 octobre 2008
Pour défendre la nation ou pour sauver des multinationales ou encore pour soutenir l'innovation et la recherche, […] conjointement à l'esprit entrepreneurial, le pouvoir politique a toujours joué un rôle primordial au sein de l'économie privée. «Sans l'apport du secteur public, rien ne fonctionne… Les riches et les puissants ne suivent pas les préceptes du libéralisme, sauf bien sûr quand ça les arrange. [ Noam Chomsky, interview, in Bilan, 2003]»
Il faut remonter à la fin du XVIIIe siècle, lors de la création des États-Unis, pour comprendre l'implication récurrente de la Maison-Blanche et du Congrès dans le soutien aux entreprises. Pour que les industriels américains puissent rapidement combler leur retard vis-à-vis de leurs concurrents européens, Alexander Hamilton, l'un des pères fondateurs de la nouvelle nation, comprend qu'il faut les aider par le biais de mécanismes de protection (droits de douane) et de mesures financières (subventions). «Il est de l'intérêt de la société [...] d'accepter provisoirement des dépenses supplémentaires, qui seront plus que compensées par une croissance de l'industrie et de la richesse», explique-t-il alors. Cette politique est couronnée de succès. L'Amérique rattrape puis dépasse la Grande-Bretagne.
Au XXe siècle, les différentes politiques industrielles et commerciales élaborées par les gouvernements successifs mettent la priorité sur le leadership des entreprises américaines, le transfert technologique,la commercialisation des découvertes et la défense nationale. Dans la deuxième moitié du XXe siècle, la concurrence de l'URSS donne «une nouvelle signification à l'identité supposée entre l'économie nationale, ses grandes firmes, et le bien-être des Américains [Robert Reich, professeur d'économie et ancien ministre du Travail de Bill Clinton]».
La guerre froide justifie les lourds investissements dans la défense du pays. Les centaines de milliards de dollars injectés dans la construction d'armements donneront ensuite naissance à de juteuses réussites économiques qui ont permis aux multinationales américaines de devenir des leaders mondiaux. «Les firmes travaillant pour la défense nationale inventent les transistors, qui finalement se retrouveront dans toutes sortes d'objets, depuis les téléviseurs jusqu'aux montres. Du complexe militaro-industriel émergeront aussi les plastiques solides, les fibres
optiques, les lasers, les ordinateurs, les réacteurs et les fuselages d'avion, les jauges de précision, les systèmes sensibles et un ensemble d'objets électroniques dont beaucoup apporteront un avantage commercial aux grandes firmes américaines. [Robert Reich]»
La recherche et développement (R&D) est un instrument clé de la politique interventionniste des États-Unis. Une grande partie des budgets (de l'État fédéral et des différents États) file le plus souvent directement dans les entreprises, qui bénéficient aussi de crédits d'impôts ou de subventions. En janvier 2006, George W. Bush a lancé un vaste projet: l' American Competitiveness Initiative [1]. L'objectif est de résister à la rude concurrence des pays émergents en accroissant massivement les investissements dans la R&D en faveur des sciences physiques et de l'ingénierie [La science et la technologie sont responsables de la moitié de la croissance économique des États-Unis.].
Les dirigeants politiques ne se mêlent évidemment pas de la gestion des entreprises, mais ils n'hésitent pas, en revanche, à se préoccuper de leur santé dès qu'une tempête menace. Si la conjoncture faiblit avec le risque de plonger le pays dans une récession, l'État tente alors de relancer la consommation par diverses mesures (par exemple par des baisses d'impôts) ou en proposant de vastes programmes de dépenses publiques. Et lorsqu'une ou plusieurs branches d'activités stratégiques sont menacées dans leur existence, personne ou presque ne s'oppose au versement de subventions ou à l'utilisation d'instruments défensifs. Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, les compagnies aériennes ont bénéficié d'une aide de quelque 15 milliards de
dollars pour continuer à voler.
Pour protéger leur économie, les États-Unis n'hésitent pas à ériger de nouvelles barrières commerciales. En mars 2002, George W. Bush a augmenté fortement les droits de douane sur les importations d'acier afin de sauvegarder l'industrie sidérurgique. Quelques mois plus tard, les agriculteurs se réjouissaient à leur tour de la hausse massive - environ 80% - de leurs subventions. Cette politique, dont l'origine remonte au XVIIIe, faisait dire au professeur d'histoire économique Paul Bairoch que les États-Unis sont «la patrie et le bastion du protectionnisme moderne». Depuis sa création en 1995, l'Organisation mondiale du commerce a d'ailleurs sanctionné à plusieurs reprises l'attitude de la première puissance mondiale.
L'action du prochain président américain ne dérogera point à cette stratégie multiforme, qui fait la force des États-Unis. ■ Jean-Philippe Buchs
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Rédigé par : berlin | 27.02.2009 à 17:37