Le Matin dimanche, 13 décembre 2008
Des gens sont persuadés d'être les héros d'un reality show, que les moindres détails de leur vie sont diffusés à la télévision et que le monde entier les regarde
Les émissions de télé-réalité s'attachent volontiers les services de psychologues, caution pour sélectionner des participants suffisamment solides pour avaler un cocktail de vers de terre ou exposer leur intimité devant des millions de spectateurs. Mais si les psys s'occupent de ces «stars» éphémères, ils s'occupent aussi de ceux qui les regardent. Car l'ère de la télé-réalité semble avoir engendré ses propres malades: des gens convaincus qu'ils sont les héros d'un reality show imaginaire!
La pathologie commence à être documentée sous le nom de «The Truman Show Delusion» ou «Truman Syndrom», du nom du film mettant en scène Jim Carrey dans le rôle d'un jeune homme qui réalise un jour que sa vie est retransmise en direct à la télévision. Des chercheurs anglais ont décrit, cette année, le cas d'un postier de 26 ans vivant dans un monde imaginaire, comme s'il était le héros du long-métrage de Peter Weir.
Mais ce sont deux frères, Joel Gold, affilié au service de psychiatrie de l'Hôpital Bellevue à New York, et Ian Gold, professeur à l'Université McGill de Montréal, qui en ont réellement fait un sujet de recherche. Ils auraient, à ce jour, recensé une septantaine de cas de héros épiés malgré eux. [1]
Les victimes de ce syndrome se retrouvent prisonnières d'un délire où tout n'est qu'imposture. Joel Gold a expliqué avoir été récemment contacté par le père d'une jeune fille qui avait envisagé le suicide comme la seule façon de sortir de l'émission à laquelle elle croyait participer.
Une vie réglée par un script
«Les patients pensent que leur famille, leurs amis, leurs collègues récitent tous un script et que leur maison, leur lieu de travail ou les hôpitaux sont des décors de cinéma. Ils sont persuadés qu'ils sont filmés et que le monde entier les regarde. [Joel Gold]»
Une exaltation psychotique [2] qui entremêle paranoïa et délire de grandeur. Pour les deux frères, le syndrome de Truman n'est pas à prendre à la légère. Ce n'est pas une forme de narcissisme, mais une véritable pathologie. Une pathologie difficile à traiter, selon eux, car les patients considèrent aussi les médecins comme... des acteurs!
Étonnant? Pour certains spécialistes toutefois, ces observations n'ont rien de réellement nouveau. Il s'agirait d'une forme de psychose imprégnée par l'environnement télévisuel actuel. Les émissions de télé-réalité ne rendraient pas psychotique, elles donneraient simplement un cadre contemporain à ce genre de trouble mental.
[Le Pr Pierre Bovet, médecin-chef au service de psychiatrie générale du CHUV,] tire un parallèle avec un comportement que l'on observe assez fréquemment chez certains schizophrènes [3] qui «ont l'impression que la télévision parle d'eux, qu'ils sont au centre de l'attention des médias».
[…] le sentiment de certains patients de vivre carrément dans une «réalité fabriquée» n'est pas non plus quelque chose de nouveau: «Ça a déjà été décrit dans les années 1940, donc bien avant les reality shows! Il me semble qu'il s'agit là de
l'actualisation d'un phénomène bien connu. [Pierre Bovet]»
D'ailleurs […] les schizophrènes sont extrêmement sensibles à l'air du temps et aux nouvelles technologies. «Prenez le délire de contrôle dans lequel les gens ont l'impression que leurs mouvements, leurs pensées ne sont pas vraiment dirigés par eux-mêmes, mais par quelqu'un d'autre. Lorsque l'électricité a fait son apparition, les malades pensaient qu'ils étaient contrôlés via le courant électrique. Aujourd'hui, plus aucun schizophrène ne croit ça. Certains, par contre, pensent
qu'ils ont une puce électronique implantée dans le cerveau. [Pierre Bovet]» ■
Geneviève Comby
1. NYTimes
2. Delègue
3. Delègue
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