Bilan, 8 octobre 2008
Les gros salaires des managers n'améliorent pas les performances des entreprises. Plus inquiétant, les résultats reculent à mesure que les bonus prennent l'ascenseur. Un phénomène que démontre l'
étude de deux chercheuses de l'Université de Zurich, Katja Rost et Margit Osterloh [1]. Les économistes ont compilé statistiquement des résultats portant sur plus de 100 000 entreprises. Leur conclusion: le système
«Pay-for-Performance» (PfP) se révèle contre-productif. Dans les faits, ce modèle évacue toute motivation à œuvrer pour l'intérêt commun et exacerbe l'avidité de profits personnels.
Le modèle «Pay-for-Performance»
La théorie part du principe que plus un manager a de succès, plus il gagne. Son salaire est constitué d'une base fixe,
à laquelle s'ajoute une part variable d'actions et de stock-options. S'il est motivé par une haute rémunération, il prendra des décisions qui vont améliorer les performances de l'entreprise. C'est le modèle actuellement en vigueur dans le monde économique.
[Ce système est contre-productif] car le succès est mesuré de façon très lacunaire
et à très court terme, sur l'aune du seul cours de l'action. Les cours ne reflètent pas vraiment les efforts d'innovation, par exemple. Les investissements consentis dans la recherche et dans le développement de nouveaux produits passent sous le poste des dépenses. Ils pénalisent les bénéfices et pèsent sur le cours boursier. Dans une vision à court terme, le manager va donc les éviter puisque ces efforts déboucheront sur des résultats seulement cinq à dix ans plus tard. Et en moyenne, un CEO reste cinq ans à son poste. Mais, sans innovation, l'entreprise perd progressivement sa compétitivité. Le modèle PfP n'offre aucune reconnaissance au manager qui s'engage sur le long terme.
Même dans les sociétés dont les actions ont chuté, les CEO touchent d'énormes bonus
C'est un dysfonctionnement classique. Le management de Swissair avait touché des primes juste avant que la compagnie ne tombe en faillite. Mais du moment que vous avez commencé avec le PfP, vous devez garantir la même hauteur de gains pour la suite. Sinon, le CEO partira à la concurrence. Tant que tout le monde fonctionne sur le même schéma, il n'y a pas d'échappatoire.
Le salaire des patrons, c'est le prix du marché
L'argument courant est que les gens talentueux sont rares, donc ils sont chers. Or, cela ne correspond pas à la réalité. La progression des salaires des patrons de ces dernières années n'a pas conduit à une augmentation des bénéfices des firmes. Des rémunérations toujours plus hautes n'ont rien à voir avec la sélection des meilleurs CEO. Au contraire, ces bonus démotivent les cadres investis d'une responsabilité sociale et attirent des professionnels motivés principalement par l'argent.
Plus le bonus du patron est élevé, plus les résultats ont tendance à baisser à moyen terme
Les résultats financiers et les cours boursiers sont des indicateurs biaisés du succès, en outre manipulables. On rémunère les patrons pour assurer une croissance rapide à tout prix, qui flatte le cours de l'action. Les méfaits de cette politique apparaissent après quelques années dans les résultats. […] Cependant, on pourrait aussi choisir des gens dont le système de valeurs est orienté vers le développement durable de l'entreprise.
[…] L'argent n'est pas la seule motivation, même si c'est important. Il y a aussi la satisfaction au travail et l'envie de faire quelque chose de bien pour l'ensemble des partenaires, pas seulement les actionnaires mais aussi le personnel et la clientèle.
[En Suisse, nous] entrons maintenant dans une période de stagnation. De tels bonus
deviendront de plus en plus difficiles à justifier devant l'opinion publique. Aux États-Unis, la pratique est extrême avec une part variable du salaire qui atteint 90%. Nos analyses montrent que, là-bas, en 2007, les rémunérations des patrons qui subissaient le plus de pression médiatique ont été jugulées, dans les cas où les bénéfices avaient baissé.
L'État ne devrait pas légiférer
[…] Les lois sont faciles à contourner. Si l'on impose des garde-fous à l'économie privée, les mêmes rémunérations seront versées sous forme de cadeaux et d'avantages en nature ou en argent non déclaré. Seul le marché peut contraindre les prix à revenir vers des niveaux raisonnables. Le système pourrait s'autoréguler, sous la pression de l'opinion par exemple. Les actionnaires ou les collaborateurs vont peut-être aussi se mobiliser pour faire changer la situation. ■
Propos de Katja Rost, recueillis par Mary Vakaridis
1. Rost, Katja / Osterloh, Margit (2008), «Management Fashion Pay-for-Performance», in: Reward Management - Facts and Trends in Europe, 139-163, Papst.
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