Le Temps, 13 février 2009
Ratko Mladic accuse. Il élève la voix, occupe agressivement l’espace. En face de lui Thom Karreman, le commandant des Casques bleus de l’ONU dans l’enclave de Srebrenica, se tient, rigide, sur la défensive. Il explique qu’il dépend de son haut commandement. Il regarde un peu partout, sauf dans la direction de son adversaire. On est le 11 juillet 1995. À ce moment, selon les témoignages recueillis par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, la décision de massacrer tous les hommes bosniaques réfugiés dans l’enclave n’est pas encore prise.
Elle le sera dans la nuit. Et pour Stefan Kluseman, professeur de sociologie à l’Université de Pennsylvanie, cette entrevue sera déterminante: elle démontre au commandant des Serbes de Bosnie que ses ennemis – les Casques bleus et, par
ricochet, les Musulmans – sont démoralisés, affaiblis. La violence peut éclater.
Stefan Kluseman a choisi d’étudier le moment où la pire des violences, celle qui débouche sur les atrocités ou, comme à Srebrenica, sur le génocide, se déclenche. C’est, estime-t-il, un moment crucial: quel que soit le contexte – et hors des cas de violence de masse préméditée et organisée – ce déclenchement reste aléatoire.
Car tuer face à face n’est pas facile. Il faut une combinaison d’émotions bien précise, où la riposte à l’agression tient peu de place et l’excitation de la domination émotionnelle sur un adversaire désormais maîtrisé beaucoup. En apprenant à mieux gérer et, le cas échéant, masquer leur peur, les soldats de la paix pourraient donc apprendre à devenir plus efficaces malgré leur marge de manœuvre militaire limitée.
Comprendre la violence, ses causes et les moyens de la prévenir, étudier les mécanismes à l’œuvre dans le cerveau des individus violents
[…] 5% d’hommes commettent trois quarts des crimes violents. Et c’est dès l’enfance qu’ils manifestent leur tendance à l’agressivité et au refus des normes: en comprenant mieux leur fonctionnement et leur développement, des progrès portants pourraient être faits dans la prévention.
[Plusieurs études] ont montré que le cerveau des psychopathes (qui forment une minorité bien spécifique de ces hyperviolents) diffère sensiblement de celui des autres criminels – et ressemble par certaines caractéristiques à celui de personnes dont le lobe frontal a été atteint par la maladie – ou amputé [Kent Kiehl, chercheur à l’Université du Nouveau-Mexique à Albuquerque].
Pourquoi? On n’est pas tout à fait aussi loin. Mais on a un bon candidat pour le rôle de «gène de la violence», [la] MAOA [1], dont l’action module le niveau d’un
neurotransmetteur [2], la sérotonine, disponible dans le cerveau. Tout seul, toutefois, relève Joshua Buck, de l’institut du cerveau de l’Université Vanderbilt à Nashville, le MAOA ne peut pas grand-chose. Mais combiné à des mauvais traitements dans l’enfance, une variation de ce gène est fortement associée à des comportements violents persistants.
Environnement – génétique, la tendance n’est plus à opposer les facteurs mais à tenter de comprendre comment ils se combinent. [Selon] Sheilagh Hdgins, du King’s College de Londres[,] si on sait désormais qui il faudrait étudier de plus près – le fameux 5% d’individus présentant des comportements asociaux persistants – on ne sait pas encore les repérer avec certitude dans l’enfance, ni analyser de façon convaincante leurs caractéristiques parfois opposées.
Sur un point, en revanche, on peut avoir des certitudes: le niveau de violence dans une société est clairement corrélé aux différences de niveau de vie. Plus la distance entre le 10% le plus riche et le 10% le plus pauvre d’une population est importante, plus la tendance à la violence augmente. Et pas de peu: on peut arriver à des multiples de plusieurs centaines.
Ce n’est pas nouveau mais de nouvelles études confirment et précisent: c’est bien la différence qui est déterminante, pas le niveau de vie lui-même. Et elle influence défavorablement toute une série de facteurs de santé mentale et physique, non seulement chez les plus pauvres mais aussi chez les plus riches.
Pourquoi? Peut-être, avance Richard Wilkinson, chercheur au Centre international pour la santé et la société de Londres, parce que le sentiment d’inégalité atteint la capacité à s’estimer soi-même, à nouer des relations protectrices avec les autres et à élever ses enfants dans un climat de confiance en eux et en autrui.
En tout cas, on tient là un facteur qui pourrait jouer un rôle déterminant dans la prévention. Mais, bizarrement, il est peu discuté dans le débat politique sur la violence. ■ Sylvie
Arsever, à l'occasion du symposium scientifique Latsis EPFL
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