Libération, 6 janvier 2009
Une étude suédoise de 2006 portant sur 31 164 personnes a relevé un tabagisme beaucoup plus intense chez les chômeurs. La cigarette fait partie de la panoplie du déclassé, de l’exclu. Elle trompe l’ennui, la solitude. Elle coupe la faim. Mais surtout, le tabac est un antistress puissant. Un des effets de la nicotine est de provoquer un phénomène de détente. Alors, quand un fumeur traverse une période de difficile, il va naturellement ressentir le besoin de fumer plus.
La précarité modifie les comportements des fumeurs
Le tabac est une drogue qui coûte cher. Alors, quand vous êtes dans la misère, vous avez tendance à optimiser votre consommation de cigarettes. Mais on sait que cela entraîne des conduites encore plus dangereuses. Par exemple, fumer les cigarettes jusqu’à la limite du filtre ou réutiliser des mégots déjà fumés.
C’est très difficile [d’agir sur ce tabagisme]. La catégorie de population que l’on
appelle «les précaires» est celle qui consulte le moins les médecins et, a fortiori, qui ne va pas chez les tabacologues. C’est la population la plus touchée et la moins protégée. Si on veut aider les fumeurs, il ne faut pas les traiter seulement comme des malades, mais aussi comme des êtres humains à la recherche de plaisir.
[En] augmentant le prix du tabac, on [risque d]’accentuer l’exclusion d’une partie
des plus défavorisés. Le prix ne freine pas systématiquement l’addiction. Au contraire, on risque de provoquer un phénomène de tabagisme retranché, en marge de la société, qui s’appuierait sur le tabac de contrebande ou sur les ventes frontalières.
[…] la hausse des prix peut avoir une influence sur les petits fumeurs. Mais pour
beaucoup de fumeurs dépendants, cela n’a pas d’incidence. Certains vont préférer réduire leurs loisirs, leurs dépenses en alimentation. Il y a aussi une part de morale judéo-chrétienne dans ce type de mesure qui consisterait à dire que le fumeur doit payer pour son vice. Mais pour amener les grands fumeurs à abandonner la cigarette, il faut susciter en eux le désir d’arrêter. Et le désir ne naît pas de la culpabilité, ni de la peur…
La consommation de cigarettes et la crise
Toute période de crise favorise les comportements addictifs. Pendant les guerres, l’alcoolisme et le tabagisme croissent. [Avec] la période difficile qui s’annonce, et la paupérisation, aussi paradoxal que cela puisse paraître, le nombre de gros fumeurs ne diminue pas. ■
Propos de Robert Molimard, tabacologue, recueillis par Yann Saint-Sernin
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