Le Matin Dimanche, 5 juillet 2009
Il y a quelque 12 000 ans, l’humanité inventa l’agriculture pour… brasser de la bière et faire la fête. L’idée de moudre le grain pour fabriquer du pain lui est venue bien plus tard. Telle est la thèse soutenue par Josef H. Reichholf, zoologue, spécialiste en biologie de l’évolution et chef de département à l’institut de recherche Zoologische Staatsammlung de Munich. Dans son ouvrage «Warum die Menschen sesshaft wurden. Das größte Rätsel unserer Geschichte» (paru en 2008, pas encore traduit), ce chercheur s’est en effet posé deux questions: qu’est-ce qui a bien pu pousser l’ Homo sapiens [1], parfaitement adapté au nomadisme, à faire le choix de la sédentarité? Et pourquoi cette révolution néolithique n’a-t-elle pas touché, à l’époque, l’humanité dans son ensemble? Contrairement à l’explication communément avancée, [Josef H. Reichholf] estime que, si nos ancêtres se sont mis à cultiver des céréales, ce n’est pas par nécessité ni pour survivre, mais, au contraire, parce qu’ils vivaient dans une abondance exceptionnelle. Explications.
En vous mêlant de préhistoire, est-ce que vous n’êtes pas en train de marcher sur les plates-bandes des paléontologues? Un biologiste est-il habilité à émettre des conclusions sur le néolithique?
[...] en tant que biologiste de l’évolution et fervent partisan de la transdisciplinarité, j’apporte un autre éclairage. Je raisonne en termes d’espèces, et je tiens compte de l’écologie des zones géographiques. Or je constate que, sur le plan biologique, rien ne destine l’être humain à la sédentarité. De par son endurance exceptionnelle, il est parfaitement adapté au nomadisme. Pour lui, la sédentarité et la promiscuité représentent surtout des inconvénients: épidémies, infections, stress… En se sédentarisant, l’humanité a donc payé le prix fort. La question que je me pose est la suivante: pourquoi s’est-elle infligé une chose pareille? [...] L’explication que l’on entend le plus souvent, c’est qu’à l’issue de la dernière glaciation la raréfaction du gibier aurait contraint l’homme à changer de menu et à opter pour les céréales. Le problème, c’est que ce n’est pas plausible. D’abord, parce que les espèces sauvages de céréales ont un rendement misérable et qu’elles sont nulles sur le plan nutritif. Il aurait été bien plus logique que nos ancêtres optent pour la culture du noisetier, dont les fruits sont beaucoup plus nourrissants et résistants, mais on n’a pas retrouvé de traces de cultures de ce genre. Par ailleurs, la consommation de céréales n’a concerné dans un premier temps que le Croissant fertile (région du Moyen-Orient, ndlr) et l’Amérique centrale. Or ces régions étaient très fertiles, avec de magnifiques pâtures pour le bétail. Il n’y avait donc pas de disette, mais des montagnes de viande à disposition. C’était une période d’abondance. D’où ma conclusion: l’invention de l’agriculture n’est pas le résultat d’une nécessité, elle n’a été possible que parce que l’humanité pouvait se le permettre. C’est un événement avant tout culturel.
Que faisait-on de ces céréales?
On s’en servait pour fabriquer de la bière, que l’on buvait lors de la célébration des cultes, c’est-à-dire pour faire la fête! Ce n’est qu’au fil des croisements et de l’amélioration du rendement des céréales qu’a émergé l’idée d’en faire du pain. Brasser de la bière, c’est très simple: une poignée de grains et un peu de crachat suffisent pour amorcer une fermentation et obtenir plusieurs litres de bière faiblement alcoolisée.
Quelle était la fonction de l’alcool lors de ces cultes?
Il permettait d’atteindre des états seconds, symboles de transcendance. L’utilisation de stupéfiants par les chamans (champignons hallucinogènes, pavot, chanvre) est attestée chez les peuples de chasseurs-cueilleurs précurseurs des sociétés agricoles. Or, dans ces mêmes sociétés agricoles, l’avènement de l’agriculture a amorcé celui de l’alcool. Les populations se sont pour ainsi dire spécialisées au niveau enzymatique. Cela explique notamment pourquoi certains peuples «ne tiennent pas» l’alcool: songez à la facilité avec laquelle les Indiens d’Amérique ou les Aborigènes ont été mis hors circuit par l’«eau de feu».
Y a-t-il eu des étapes de sédentarisation?
Les traces les plus anciennes de construction de main de l’homme sont des monuments extrêmement imposants, comme le site de Göbekli Tepe, en Anatolie. Ces lieux de culte ont été bâtis avant que les populations ne se sédentarisent: les populations nomades s’y retrouvaient à certains moments précis de l’année pour célébrer leurs cultes – les formes primitives d’astronomie sont probablement nées pour calculer les premiers calendriers qui fixaient ces rendez-vous.
Quant aux premiers cultivateurs, il s’agissait probablement de pauvres que l’on a forcés à se sédentariser pour qu’ils entretiennent les champs et protègent les jeunes cultures des herbivores. Ce schéma s’est d’ailleurs perpétué par la suite: les paysans et les serfs étaient enchaînés à la terre, alors que les riches et les nobles pouvaient continuer à jouir de leur liberté de mouvement.
L’humanité a donc besoin d’opulence pour avancer?
L’avènement de nouvelles ressources provoque un changement de comportement et permet les grandes innovations. Lorsque l’abondance règne, que vous ne souffrez pas de carences, vous pouvez vous permettre d’exercer des activités qui ne sont pas forcément utiles et gourmandes en ressources, comme bâtir des monuments colossaux, observer le ciel, réfléchir à l’au-delà… Le beau précède souvent l’utile, comme le montre aussi l’évolution de l’utilisation des métaux: l’homme a fabriqué des bijoux en or avant de forger le fer pour en faire des outils et des armes. ■
Propos recueillis par Catherine Riva
1. Hominidés
Complément: l'hominisation
Bonjour, bravo pour votre blog, bien fait, joli, intéressant.
Rédigé par : horoscope | 13.07.2011 à 13:26
j'ai bien adorée ton blog et vos suggestions aussi je vous souhaite une bonne continuation
Rédigé par : voyances | 13.07.2011 à 13:27