Le Nouvel Observateur, 30 avril 2009
En détournant vers les communautés et les religions les droits reconnus aux individus, les ennemis de la démocratie ont remporté une triste victoire sur l'Occident
Les droits de l'homme [...] sont-ils devenus une arme de guerre entre les nations? [...] Tous les despotes, tous les sectaires, tous les fanatiques ont en effet compris qu'il était possible de faire de la «Déclaration universelle des droits de l'homme», fruit de la victoire des démocraties sur les fascismes (1948), une arme de propagande redoutable: il suffisait pour cela de faire adroitement glisser les droits reconnus aux individus en droits attribués aux communautés, en identifiant l'
universalisme humaniste au
colonialisme occidental et en instituant ces droits, non sur le fond commun de l'humanité, mais sur les différences entre les individus, les peuples, les groupes d'appartenance. C'est la rhétorique
communautariste, fondée non sur l'humanisme mais sur l'ethnologisme.
Il est vrai que l'Occident avait donné des verges pour se faire battre en déchirant le premier la robe sans coutures de l'universalisme. Ce furent d'abord les marxistes, qui, en opposant les libertés formelles, nécessairement bourgeoises, aux libertés «réelles» apportées par la révolution
prolétarienne, faisaient des droits de l'homme une affaire de classes sociales. Puis vinrent les
différentialistes américains, qui, partant de la même critique de l'universalisme, réclamèrent la reconnaissance particulière de droits pour d'autres catégories: les femmes, les homosexuels, bientôt les handicapés, les autistes, les descendants d'esclaves... C'est ce que l'on a appelé la
«discrimination positive», qui transformait progressivement la République des citoyens en République des quotas.
Nous y sommes, chez nous comme là- bas. Aussi longtemps que les catégories ainsi distinguées, en raison de la dette que l'humanité dominante avait contractée à leur égard, constituaient, si l'on peut dire, des communautés universelles - il se trouve des femmes et des homosexuels dans tous les pays du monde -, il n'y eut que demi-mal et, dans bien des cas il faut le reconnaître, il en sortit un bien véritable pour elles. Mais le ver était dans le fruit désormais, à côté des individus, et parfois à leur place, ce sont des groupes qui pouvaient devenir sujets de droit. C'était la victoire posthume de Marx sur
Kant.
Tous les ennemis de la démocratie se sont engouffrés dans la brèche. Après le sexe et l'origine ethnique, pourquoi pas les religions? C'est ainsi que les islamistes ont inventé et réussi à imposer à l'échelle internationale un délit d' «islamophobie», destiné en principe à protéger les musulmans, en réalité à criminaliser toute critique de cette religion et, en sacralisant l'islam, à faire de tous les pays où elle est religion officielle des lieux où la
charia peut être légitimement opposée à l'universalisme des droits de l'homme. Pis que cela, on se prévaut de l'
antiracisme, devenu la vache sacrée du monde contemporain, pour constituer un délit de «diffamation des religions», qui est l'un des monuments les plus stupéfiants que la tartuferie moderne ait élevé à l'esprit d'oppression. En 2008, le délit de diffamation des religions a été voté par la
Commission des Droits de l'Homme de l'ONU, présidée par la Libye.
[C'est] une formidable régression historique [...]. La technologie de l'Occident a triomphé sans partage et se surimpose aujourd'hui à toutes les civilisations à travers le monde, mais la défaite intellectuelle et médiatique de ce même Occident est aujourd'hui patente, sous nos yeux incrédules. ■ Jacques Julliard
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