Libération, 25 août 2009
«Les gens ont peur aujourd’hui, mais moi et mes pairs nous ne craignons pas l’effondrement économique. Nous avons appris, avec l’aide du Whole Earth Catalog, à prendre soin de nous», déclarait récemment l’acteur Peter Coyote au magazine écolo Plenty.
Alors que le mouvement Do it yourself opère un retour en force outre-Atlantique - réaction contre les excès de la société de consommation et ses effets dévastateurs sur la planète mais aussi stratégie de survie en période de récession -, flash-back sur une publication fulgurante dont les idées sont, quarante ans plus tard, plus que jamais
d’actualité: la construction durable, le commerce équitable, les énergies alternatives mais aussi la cyberculture ayant toutes été façonnées par ses pages.
Le
Whole Earth Catalog (WEC) est lancé en 1968 par Stewart Brand. Ce diplômé de biologie à Stanford en Californie, ex-para et membre des Merry Pranksters (bergerie hippie expérimentale autour de l’écrivain Ken Kesey, carburant au LSD) avait lancé deux ans plut tôt une campagne nationale pour convaincre la Nasa de diffuser pour la première fois une photo de la Terre prise de l’espace. Cette fameuse photo fera la couverture de son premier catalogue, une soixantaine de feuilles miméographiées (imprimées maison) qui vont devenir un document décisif de la contre-culture américaine.
À l’époque, ses amis chevelus de la Bay Area fuient la ville en masse pour vivre en communauté. Pour les aider dans leur retour à la terre, Stewart se lance dans la conception d’un catalogue pratique regorgeant d’informations pour tout faire soi-même (matériel, conseils pour acheter pas cher, livres, plans de maisons et de machines…) En quatre ans, il va s’étoffer et compter jusqu’à 448 pages en 1972, année où «ce catalogue pour hippie de la côte ouest» obtient le National Book Award.
«Pendant les quinze ans où j’ai vécu dans une cabane sans électricité, explique Peter Coyote, le WEC était ma ressource pour une technologie low tech, bon marché et peu polluante. Sans les bons outils, les bonnes compétences et les bons livres, le mouvement Do it yourself aurait été voué à l’échec.»
Le Whole Earth Catalog ne ressemblait à rien de connu en matière d’édition. Réalisé avec une machine à écrire électrique, des ciseaux et un appareil photo Polaroid, ce n’était pas vraiment un livre, ni un magazine, ni un catalogue de vente par correspondance mais une «cacophonie d’artefacts, de voix et de design visuel», décrit Fred Turner dans From Counterculture to Cyberculture [1].
«Des kits pour tisser à domicile côtoient des reportages sur la science du plastique. Les flûtes en bambou partagent leur espace avec des livres sur la musique générée par ordinateur.» La construction de dômes géodésiques voisine avec la chronique d’une expérience dans un kibboutz. Le marteau et les clous avec de l’électronique sophistiquée.
Le catalogue n’était pas seulement un réservoir d’outils mais aussi d’idées visionnaires. Il jette un pont entre la science de pointe et la contre-culture, exposant les théories de Buckminster Fuller ou de Norbert Wiener (cybernétique), publiant un torrent d’articles sur la préservation de la planète, l’agriculture bio, l’autosuffisance, l’auto-éducation et la coopération.
«En migrant de Stanford au monde arty de Manhattan puis à la bohème psychédélique de San Francisco, écrit Turner, Brand est devenu le lien entre différentes communautés contre-culturelles, académiques et technologiques. En fondant le WEC en 1968, il a rassemblé ces différentes communautés dans un même espace textuel. Cet espace devint un forum en réseau, un endroit interdisciplinaire où ces communautés échangeaient des idées.»
Les lecteurs pouvaient écrire, recommander de nouveaux livres ou décrire leur expérience. «Pour ce mouvement, l’information était une matière première précieuse, commente Kevin Kelly, ancien compagnon de route qui a cofondé le magazine Wired. Dans les années 60, il n’y avait pas d’Internet, pas 500 chaînes du câble. Le WEC était un génial exemple de contenu généré par les utilisateurs sans pub, avant Internet. Brand a inventé la blogosphère bien avant que cela existe.» Selon Steve Jobs, fondateur d’Apple, le WEC était «une sorte de Google en livre de poche trente-cinq ans avant, c’était idéaliste et débordant d’outils précis et de concepts géniaux.»
Le WEC a également irrigué toute la culture d’«innovation de garage» de la Silicon Valley. Sous-titré «Access to tools», il a sensibilisé son lectorat au potentiel libérateur des technologies et de l’information. Dès le premier numéro, il présente un calculateur de bureau Hewlett Packard, à 5000 euros, l’objet le plus cher du catalogue.
«Dans les années 60, les ordinateurs c’était big brother, ils étaient aux mains de
l’ennemi, les mégasociétés et le gouvernement, mais Brand a entrevu ce que ces outils rendaient possibles. Il comprit que si ces ordinateurs devenaient personnels, ça pouvait faire basculer le monde en un endroit où les gens sont Dieu», écrit Kevin Kelly, faisant allusion à la déclaration d’intention désormais légendaire de Brand en ouverture du catalogue: «Nous sommes l’équivalent des Dieux, et ferions bien d’être à la hauteur.»
Le dernier exemplaire, en 1971, fut vendu à plus d’un million d’exemplaires. À la fin des années 70, les hippies finirent par rentrer dans le rang mais les idées et les réseaux construits autour du catalogue perdurèrent. Les communautés rurales devinrent des «communautés virtuelles» telle le Whole Earth ’Lectronic Link, ou
Well, en 1985, excroissance en ligne du catalogue et forum influent toujours en activité. Et le «cow-boy nomade» fit place aux entrepreneurs de la Silicon Valley. ■ Marie Lechner
[1] Fred Turner, From Counterculture to Cyberculture, University of Chicago Press, 2006.
Bonjour, j’adore vraiment ce que vous faites je me demande comment j'ai pu rater votre blog...
Rédigé par : voyance paris | 16.12.2010 à 11:57
Merci bien pour ce thème il est vraiment très intéressant à ce moment là Merci encore...
Rédigé par : voyance | 16.12.2010 à 11:58
Super bien fait et très bons documents, très agréable à parcourir bonne continuation à bientôt..
Rédigé par : numero surtaxé | 16.12.2010 à 11:59
Peter Coyote is indeed a brave fellow, ain't he? He and his peers are quite optimistic and so full of hope. And never forget that they got all the help they can have from the Whole Earth Catalog. So we must take example from Peter Coyote and his brave peers and trust the Whole Earth Catalog and be not afraid of the economic collapse because it cannot collapse our hearts and spirits.
Rédigé par : karma sutra positions | 11.01.2011 à 14:45