Le Temps, 2 février 2005Ivan Noble, journaliste à la BBC, est mort lundi après s'être battu
durant deux ans et quatre mois contre une tumeur du cerveau. Des
centaines de milliers d'internautes ont suivi sa bataille grâce à son
blog, le carnet de bord qu'il tenait en ligne sur le site internet de
la BBC.
«Ceci est ma dernière chronique. Je l'ai écrite à l'avance parce que je
savais qu'il arriverait un point où je ne serais plus assez en forme
pour continuer. Le temps est maintenant venu.» C'est par ces mots que
débutait dimanche dernier le carnet de bord d'Ivan Noble sur le site
internet de la BBC. Journaliste scientifique à la «Beeb» depuis le
début des années 90, Ivan Noble avait commencé son «blog» (journal
intime sur Internet) le 12 septembre 2002, un mois après qu'on lui eut
diagnostiqué un cancer du cerveau.
Il avait baptisé son blog «Journal d'une tumeur» et y a raconté sa
vie durant deux ans et quatre mois à l'aide de phrases simples non
dénuées d'humour, et sans jamais se départir d'une grande pudeur. «Le
mois dernier, j'étais un homme en bonne santé au milieu de la
trentaine. J'envisageais de passer à temps partiel pour m'occuper de ma
fille. Maintenant, on vient de me dire que j'ai une tumeur au cerveau
qui progresse très rapidement», confiait Ivan Noble dans sa toute
première chronique. Hier midi, la BBC a annoncé qu'il était décédé
lundi. Il avait 37 ans, une femme et deux enfants.
Lui-même peu friand d'un journalisme qui dit trop «je», ce fan de
gadgets high-tech au visage barré par l'épaisse monture noire de ses
lunettes a réussi à égrainer ses chroniques sans devenir une bête de
foire pour autant. Intime mais jamais obscène, sincère mais pas
misérabiliste, il a confié, en vrac et au fil des mois, la tumeur qui
grossit, les séances de chimiothérapie mais aussi le bonheur de
retrouver le goût d'une bière, un dimanche de rémission. Il a tout
simplement confié ses espoirs comme cette «peur qui tenaille». «En
écrivant ce journal, j'ai tenté de tirer quelque chose de bien de mon
infortune. Je n'étais pas sûr qu'on me lirait, mais j'ai voulu essayer,
explique-t-il dans son dernier billet. C'était aussi un moyen de
maintenir un lien avec mon métier. Et cela m'a permis de tenir plus
longtemps.» Entre 75 000 et 120 000 personnes lisaient ses chroniques.
Dimanche, la dernière a touché plus de 300 000 internautes.
Sa «plus grande bataille» fut d'éloigner la peur. Il s'y est échiné
en restant dans la vie. Bidouiller un ordinateur ou mitonner un petit
plat l'y ont aidé. La naissance de son fils, au mois de juillet 2004,
aussi. «Ça marche vraiment. Je n'échappe pas totalement à la peur. Mais
elle ne me domine plus», écrivait-il encore. «Il avait demandé à écrire
son journal peu après le premier diagnostic. Il voulait parler
ouvertement du cancer, démystifier cette maladie, et permettre aux gens
d'en parler librement», expliquait hier Pete Clifton, rédacteur en chef
de BBC News interactive, en lui rendant hommage. Car Ivan Noble avait
établi un lien inouï avec les internautes. Certains l'encourageaient,
d'autres lui confiaient leur expérience de la maladie. Des quatre coins
du monde, des gens ont répondu à ce grand fan de voyages dont ses amis
disent qu'il avait un besoin quasi viscéral d'avoir «toujours au moins
un voyage de prévu à l'avance». Lundi, il est parti en laissant
derrière lui un aller et retour pour Hong Kong, où il prévoyait d'aller
voir son frère ce mois-ci.
À chaque témoignage, des dizaines de courriers électroniques
affluaient en réponse. Un peu davantage, dimanche, lorsque les
internautes ont compris que ce serait la dernière fois. Hélène, du
Canada, l'a remercié pour l'aide apportée à sa fille, qui souffre elle
aussi d'un cancer du cerveau. Également atteint d'une tumeur, Ivan lui
dit ceci sur le site de la BBC: «Je vous dois beaucoup, vous m'avez
donné du recul, de l'espoir et de la détermination.» Et, depuis la
Floride, Andres Rozo saluait ainsi les derniers mots publics d'Ivan
Noble: «Votre courage va nous manquer. Nous allons prier pour vous.»
«Le retour que j'ai eu de dizaines et dizaines de personnes chaque
fois que j'ai écrit a été merveilleux, spécialement dans les moments de
crise, écrit-il enfin dans sa dernière chronique mise en ligne
dimanche. Je sais que cela m'a aidé à aller plus loin que je ne
l'aurais fait sans cela, et j'en suis reconnaissant.» Et qui, alors,
parmi ceux qui ont suivi sa chronique, ne regrette pas, aujourd'hui, de
ne jamais avoir envoyé un seul message de soutien ou d'estime? Car
c'est la dignité de son témoignage qui frappe le plus chez Ivan Noble.
«Ce que j'ai tenté de faire, avec cette chronique, c'est de prouver
qu'il était possible de survivre et de battre le cancer sans être brisé
par la maladie. La dernière étape ne sera pas facile, mais je n'ai pas
été vaincu», écrivait il encore dans son ultime message, avant de
terminer sur ces mots: «Si deux ou trois personnes arrêtent de fumer à
la suite de ce que j'ai pu écrire, alors celui d'entre eux qui aurait
eu le cancer va vivre, et ce que j'ai gribouillé n'aura pas été vain.»
■ Chloé Leprince, Londres
Voir le blog d'Ivan Noble: Tumour diary
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