Horizons, septembre 2001
Un nombre croissant de sites web affichent sur leurs pages une petite icône: «Envoyez à un ami» («Send to a friend»). Il suffit de cliquer dessus, écrire l'adresse [de courriel] de la personne en question, d'ajouter éventuellement un message personnel, et le contenu de la page sera livré dans sa boîte aux lettres électronique. C'est une application de ce qu'on nomme le «marketing viral»: l'idée qu'une information (un article d'actualité, la description d'un produit, etc.) peut rapidement être disséminée à travers [l'internet], d'utilisateur à utilisateur, à un coût marginal pour le site d'origine.
Il y a au moins trois types de diffusion virale d'information sur [l'internet]. Le premier, qu'on appellera «contagion accidentelle», fut inventée par Hotmail, le premier site de messagerie gratuite, quand il affichait à la fin de chaque message envoyé par ses utilisateurs la note «Get your private free e-mail at hotmail.com» - créez votre propre [courriel] gratuit en visitant le site de Hotmail. Le deuxième, qu'on nommera «contagion communautaire», consiste à offrir un service dont l'efficacité est maximale uniquement si toutes les parties l'utilisent. L'exemple, c'est ICQ, le système de messagerie instantanée: chaque utilisateur devient un agent de persuasion auprès de ses amis pour qu'ils se servent du même logiciel, de façon à pouvoir communiquer avec eux. Le troisième est celui qui nous intéresse ici: la contagion par transmission volontaire. Exemple: partager son enthousiasme pour un article intéressant avec un ami, en lui le envoyant [courriel].
Le marketing viral s'appuie sur une ossature théorique selon laquelle les marchés ne sont pas une masse amorphe, mais plutôt une série de réseaux et de sous-réseaux d'utilisateurs et de consommateurs relativement structurés. Pour les sites, rendre très simple la circulation de l'information à travers ces réseaux devient une façon de se différencier et d'attirer l'attention. Il est fort probable, par exemple, que l'on donne plus de crédit à la recommandation d'un ami qu'à celle du vendeur ou d'une publicité, et on sera donc incité à lire le message et éventuellement à visiter le site. C'est d'autant plus vrai quand le «produit» est numérique (un article publié [en ligne], par exemple), parce que sa qualité ne peut être vérifié qu'en l'expérimentant - en le lisant - et le conseil de l'ami peut devenir alors un facteur essentiel.
La plupart des sites d'information internationaux offrent désormais la possibilité à leurs lecteurs d'envoyer un article à quelqu'un d'autre par [courriel] juste en cliquant sur une icône. [...] Si cela constitue clairement une stratégie de promotion des sites, les implications sont toutefois plus profondes. Le «send-to-a-friend» est en fait en train de créer une nouvelle dimension de l'information en ligne. Quelques sites tels que Yahoo (news.yahoo.com) ou le New York Times (www.nytimes.com) ont commencé à publier en temps réel les listes d'articles les plus «envoyés», et ces statistiques sont devenues à leur tour des pages très populaires.
Ce qui importe, en d'autres termes, c'est de savoir ce qui intéresse les gens (un peu la logique qui s'applique au hit-parade musical). Alors qu'une nouvelle en soi dit ce qui s'est produit, cette «méta-information», en recensant la réaction des gens à la même nouvelle, ouvre tout un champ de recherche sur les tendances sociales et les dynamiques de groupe. Il est intéressant de remarquer que l'article le plus «envoyé» ne correspond presque jamais à l'article le plus lu sur le site. Quels sont alors les mécanismes qui suscitent le besoin de partager une information avec quelqu'un plutôt que de la «consommer» en solitaire? Qui communique quelle information à qui? Quelle est la structure des réseaux de connaissance? Voilà des thèmes d'intérêt pour la sociologie de la communication, notamment. ■ Bruno Giussani, spécialiste des nouveaux médias
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